Des changements qui s’accélèrent dans les environnements glaciaires de l’Ouest canadien
Alexandre Bevington and Brian Menounos
Autour du monde, les glaciers s’amincissent à des taux accélérés.[1] Dans l’Ouest canadien, les glaciers sont une indispensable ressource d’eau douce, désormais menacée par le changement climatique. Le dernier recensement des quelque 15 000 glaciers de l’Ouest canadien, remontant à 2005, rend nos cartes obsolètes et périmées. Dans cet article, nous résumerons des travaux récemment publiés qui mettent à jour les cartes des glaciers de l’Ouest canadien grâce à de nouveaux outils de cartographie automatisés.[2]
Comprendre les tendances dans le changement des glaciers est important compte tenu de l’étendue de leurs impacts sur les environnements en aval. Par exemple, ils influencent l’élévation du niveau de la mer, modèrent la température des cours d’eau et fournissent, en fin d’été, de l’eau de fonte à la production d’hydroélectricité, quand l’écoulement de la neige est faible et que la demande en énergie est forte.
Le recul en cours des glaciers peut aussi augmenter le risque de glissements de terrain dans certains bassins hydrographiques en montagne, comme l’a montré la contribution de Brent Ward au State of the Mountains Report du CAC en 2020.[3] La retraite des glaciers expose également une géologie autrefois cachée et d’un grand intérêt pour les sociétés d’exploration minière.
La plupart des glaciers dans l’Ouest canadien sont nourris par la neige hivernale et subissent une fonte en été. Lorsque calculés sur une année, ces apports et ces pertes indiquent si la masse d’un glacier augmente ou diminue. La durée et l’épaisseur de la couverture de neige hivernale ont diminué ces dernières décennies, et les étés (récents en particulier) sont devenus plus longs et plus chauds, indiquant un lien clair avec les impacts humains sur le climat.
Quand les glaciers de montagne reculent, la glace restante occupe de plus hautes altitudes dans les lieux escarpés exposés au nord, où les facteurs météorologiques (ombre, charge de neige due au vent ou aux avalanches) favorisent leur présence. La déglaciation expose aussi du terrain susceptible à des changements rapides, dont la croissance de plantes alpines et d’arbustes, la formation de nouveaux lacs, et des pentes instables.
Pour mettre à jour des cartes de glaciers, la méthode traditionnelle de traçage sur des images aériennes ou satellites est périmée. De nos jours, avec des dizaines de milliers d’images satellites à notre portée, nous développons des méthodes automatisées pour surveiller les changements de nos glaciers. Le lecteur intéressé trouvera dans le Rapport sur l’état des montagnes de 2021 une bonne présentation des technologies de télédétection employées dans la surveillance des glaciers.[4]
Le programme Landsat, peut-être la plateforme d’observation de la Terre la mieux connue, a systématiquement acquis des images de nos glaciers depuis le milieu des années 1980. Ces images fournissent une riche archive qui nous permet de détailler comment chaque glacier a changé dans l’Ouest canadien au cours des quarante dernières années. Les longueurs d’onde visibles et in
frarouges des données Landsat sont employées par les méthodes de cartographie automatiques. Près de vingt ans plus tôt, l’Institut des études géologiques américain a mis gratuitement à la disposition du public ses archives entières d’images Landsat. Ces ensembles ouverts de données changent la manière dont les scientifiques peuvent documenter les changements environnementaux au fil du temps.
Le moteur Google Earth Engine, un outil gratuit en ligne de traitement de données satellitaires, est devenu un incontournable dans la communauté scientifique. L’outil permet à chacun de traiter des quantités énormes de données satellitaires, incluant les images Landsat. Earth Engine nous a aidés à cartographier les glaciers de l’Ouest canadien en utilisant plus de 12 000 images Landsat. Acquérir cette quantité de données avant la politique d’ouverture des données aurait coûté environ six millions de dollars.
Le dernier inventaire systématique des glaciers de l’Ouest canadien fut complété dans une étude de 2010, dirigée par Tobias Bolch et employant des images Landsat de 2005. Cette étude a découvert que l’Ouest canadien perdait environ 166 kilomètres carrés de glace par an depuis 1985, et avait perdu environ 300 glaciers au cours de cette période.
Dans notre recherche récemment publiée, nous recartographions les mêmes glaciers que Bolch et al. de 1984 à 2020 avec une méthode entièrement automatisée. Contrairement à l’étude précédente, nos résultats donnent des changements annuels dans chaque glacier. La technique permet aussi de détailler des tendances dans les changements en superficie des glaciers et une accélération notable de perte de surface depuis environ 2011. Nous avons ajouté depuis les contours des glaciers de 2021 à la base de données.
L’Ouest canadien perd 340 kilomètres carrés par an de glace de glacier depuis 2011, un taux de perte de surface sept fois plus rapide que celui de la période de 1984 à 2010. Dans certaines régions, l’accélération est beaucoup plus grande. Par exemple, les quelques glaciers restants sur l’Île de Vancouver ont vu l’accélération de perte en superficie se multiplier par 32 dans notre étude. Nous rapportons des erreurs d’environ cinq p cent dans les contours automatisés de glaciers.
Nous avons aussi découvert que les glaciers se fragmentent en plus petites unités au fil du temps, ce qui apporte une plus grande aire de surface pour la fonte de la glace et contribue probablement à sa disparition accélérée. Dans la région, la croissance en superficie des lacs proglaciaires est passée de dix à cinquante kilomètres carrés par an. Ces lacs sont importants à cartographier et à comprendre, car non seulement ils représentent un facteur de stockage important dans le cycle de l’eau, mais aussi un danger pour les communautés en aval.
Un programme spatial de cartographie des glaciers doit toujours se fixer un seuil minimal pour que ses pixels contigus couverts de neige et de glace se cartographient comme un glacier. Dans nos travaux, nous avons établi le seuil minimal de détectabilité à 0.05 km2 (environ quatre pâtés de maisons), pour découvrir que 1 141 glaciers tombaient sous cette limite de détection, disparaissant ultimement de notre base de données à un taux de perte d’environ 8 p cent.
Notre étude s’accompagne d’émotions contradictoires. Nous sommes, d’une part, en admiration devant ces paysages spectaculaires, et reconnaissants de leur présence dans le paysage, mais nous savons aussi que nous documentons leurs derniers instants. La plupart de nos glaciers au sud auront disparu avant la fin de ce siècle, ce qui changera radicalement la nature de nos montagnes et notre façon de voyager à travers elles. Cette déglaciation aura aussi des effets considérables sur les communautés en aval, ainsi que les poissons et la faune, l’énergie hydroélectrique, la disponibilité de l’eau douce, et bien plus. Des politiques sont nécessaires pour réduire considérablement notre incidence sur le climat, et s’assurer au moins que les plus grands glaciers survivent.
Alex Bevington est doctorant à l’Université de Northern British Columbia et chercheur en hydrologie au ministère des Forêts de Colombie-Britannique. Tant pour le travail que pour le plaisir, il a passé beaucoup de temps sur les glaciers et s’intéresse à améliorer notre compréhension des impacts de la cryosphère montagneuse sur les environnements en aval.
Brian Menounos est professeur en sciences de la Terre et est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’évolution des glaciers à l’Université de Northern British Columbia. En 1987, lors d’un programme d’échange en Allemagne, il est tombé amoureux des montagnes et n’a cessé de les analyser depuis. Il est également un affilié du Hakai Institute et scientifique en chef à l’Airborne Coastal Observatory
References
1 Hugonnet, R., McNabb, R., Berthier, E., Menounos, B., Nuth, C., Girod, L., Farinotti, D., Huss, M., Dussaillant, I., Brun, F., & Kääb, A. (2021). Accelerated global glacier mass loss in the early twenty-first century. Nature, 592 (7856), 726–731. https://doi.org/10.1038/s41586-021-03436-z
2 Bevington, A. R., & Menounos, B. (2022). Accelerated change in the glaciated environments of western Canada revealed through trend analysis of optical satellite imagery. Remote Sensing of Environment, 270, 112862. https://doi.org/10.1016/j.rse.2021.112862
3 Ward, B., Williams-Jones, G., & Geertsema, M. (2020). Moving Mountains: Landslides and Volcanoes in a Warming Cryosphere. In L. Parrott, Z. Robinson, & D. Hik (Eds.), The State of the Mountains Report, 3, 4-11. The Alpine Club of Canada.
4 Menounos, B. (2021). Des stratégies de télédétection pour surveiller les glaciers de Colombie-Britannique. In L. Parrott, Z. Robinson, & D. Hik (éds.), Rapport sur l’état des montagnes, 4, 38-40. Le Club alpin du Canada-The Alpine Club of Canada.
5 Gorelick, N., Hancher, M., Dixon, M., Ilyushchenko, S., Thau, D., & Moore, R. (2017). Google Earth Engine: Planetary-scale geospatial analysis for everyone. Remote Sensing of Environment, 202, 18–27. https://doi.org/10.1016/j.rse.2017.06.031
6 Bolch, T., Menounos, B., & Wheate, R. (2010). Landsat-based inventory of glaciers in western Canada, 1985–2005. Remote Sensing of Environment, 114 (1), 127–137. https://doi.org/10.1016/j.rse.2009.08.015
7 Bevington, A. R., & Menounos, B. (2022). Accelerated change in the glaciated environments of western Canada revealed through trend analysis of optical satellite imagery. Remote Sensing of Environment, 270, 112862. https://doi.org/10.1016/j.rse.2021.112862
8 Des polygones de glacier sont disponibles ici : https://zenodo.org/record/5900363#.YpkbDqAieUk
9. Pour en savoir plus sur les estimations d’erreur, consulter Bevington & Menounos, 2022.