La résilience climatique des Gitxsan et des Secwépemc

 

Janna Wale


Figure 1 : Le cycle saisonnier Gitxsan, y compris les activités saisonnières (Main-Johnson 1997). Gitxsan Moon de Brett Huson 

Les communautés autochtones de la Colombie-Britannique (C.-B.) ont des liens profonds avec leurs terres, et sont disproportionnellement affectées par le changement climatique. La résilience climatique des communautés est un ensemble émergent de travaux qui examinent des indicateurs sélectionnés pour dresser un portrait général de la résilience climatique dans les collectivités humaines. 

Mon travail se concentre sur la résilience climatique dans les communautés autochtones. Essentiellement, il explore ce que nous savons déjà en tant que Peuples autochtones : que nous sommes forts et résilients. Mon approche pour mieux comprendre notre résilience a été d’étudier comment le cycle saisonnier des activités de deux nations — la Nation Gitxsan et la Nation Secwépemc — est affecté par le changement climatique. Un cycle saisonnier se trouve à l’intersection des pratiques culturelles et de ce qui se produit sur le territoire à tout moment donné de l’année (Figure 1). Pour beaucoup de peuples autochtones de la C.-B., la vie se fondait et continue de se fonder sur le cycle des saisons; les saisons influencent nos lieux d’habitation, de chasse et de récolte. Chaque saison apporte des ressources, des événements culturels et des processus différents qui définissent et donnent forme au mode de vie autochtone. Comme le changement climatique affecte directement le territoire par des glissements dans le calendrier des processus écologiques, je m’attendais à voir les cycles saisonniers de mes communautés d’étude refléter ces changements. 

Saumon et maïs traditionnellement récoltés, cuisant sur des rochers chauds. Photo : J. Wale

Les Gitxsan (Gitksan) sont un peuple côtier du nord-ouest qui vit dans le bassin versant de la rivière Skeena dans la C.-B.. Les peuples Secwépemc sont des Salish de l’intérieur, qui occupent une vaste région dans l’intérieur sud de la C.-B. J’ai interrogé et étudié trente-six membres de la communauté de ces deux nations sur les changements qu’ils observent sur le territoire, et sur la manière dont ces changements commencent à affecter des aspects de leur culture et de leurs cycles saisonniers. 

Ces deux études de cas ont révélé trois thèmes majeurs. Premièrement, ces membres de communauté rapportent que les modèles saisonniers changent. Deuxièmement, le taux et l’ampleur du changement ne sont pas égaux d’un territoire à l’autre. Troisièmement, les communautés font preuve de résilience en employant des moyens de gestion traditionnels pour favoriser la durabilité. 

Le premier thème est le plus évident, parce que, bien sûr, nous faisons tous l’expérience du changement climatique. Les incendies massifs, les inondations et les chocs climatiques sans précédent de ces dernières années en sont des symptômes. Prenons pour exemple le cycle saisonnier des Gitxsan (figure 1). Les membres de cette communauté ont observé une augmentation notable des précipitations et un décalage dans la période de gel chaque année. L’incohérence des températures affecte également le cycle de croissance des plantes, de sorte que le temps des récoltes est inconstant d’une année à l’autre. L’un des participants de mon étude a remarqué que c’était « comme si les plantes étaient désorientées. » En retour, cette inconstance du récoltable affecte l’élan d’Amérique, qui ne se trouve plus aussi régulièrement dans le territoire. Ces modifications climatiques se traduisent par une modification culturelle. Un accès diminué à l’élan d’Amérique non seulement déstabilise l’écosystème, mais commence aussi à affecter la sécurité alimentaire des Gitxsan. De tels événements deviennent de plus en plus fréquents, et commencent à déformer le cycle saisonnier des Gitxsan (figure 2). 

Figure 2 : Le cycle saisonnier décalé des Gitxsan, basé sur des preuves anecdotiques (Wale 2022). Gitxsan Moon de Brett Huson 

Le second thème est que, selon l’endroit où l’on se trouve, les changements seront différents. Dans ma recherche, les Secwépemc ont observé plus de changements, à un taux plus rapide, que les Gitxsan — ou disons que le sujet est revenu plus souvent dans la conversation. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. 

La première explication possible tient à la façon dont la colonisation s’est jouée à travers la C.-B. Le territoire Secwépemc est plus densément peuplé, et a été l’objet de davantage de changements en couverture terrestre et en affectation des terres à la suite de l’établissement colonial et de l’extraction des ressources. Les perturbations et la fragmentation du paysage diminuent la résilience des écosystèmes, et les Secwépemc ont un accès réduit à leur territoire au cours de l’année — ce qui a accéléré la distorsion du cycle saisonnier.

Un membre de la Première Nation Gitxsan nettoie un saumon : les parties non utilisées alimentent la rivière. Photo : J. Wale

Ensuite, il est important d’envisager aussi comment les Peuples autochtones ont habité le paysage dans le passé. La population Secwépemc était très mobile. Les restrictions et les déménagements forcés sous le système des réserves a affecté l’accès des Secwépemc à leurs territoires traditionnels, ce qui a affecté et affecte encore le degré avec lequel ils peuvent pratiquer la saisonnalité. Par contraste, la population Gitxsan était moins mobile au fil des saisons et continue de vivre près de sites de pêche et de récolte : ils sont en mesure de maintenir l’accès à des zones importantes, ce qui implique moins de distorsion dans leur cycle saisonnier. 

De plus, le territoire Gitxsan se trouve dans la zone biogéoclimatique intérieure à thuya et à pruche (ICH), une zone demeurée relativement stable et qui, selon les projections du changement climatique, devrait le rester davantage. Le cycle saisonnier des Gitxsan reflète cette transition plus lente. Le territoire Secwépemc est au cœur du plateau intérieur de la C.-B., dominé par les zones biogéoclimatiques sèches de la graminée cespiteuse, du pin ponderosa et du Douglas taxifolié des Rocheuses. Les projections indiquent que ces écosystèmes subiront des changements rapides. 

Un membre de la Première Nation Gitxsan récolte des gaylussacias parmi les épilobes. Photo : J. Wale

Il est important de comprendre qu’un changement dans une relation ne signifie pas nécessairement une perte de relation. Par exemple, si la relation que les Secwépemc ont avec le territoire a changé, ils utilisent maintenant leur relation actuelle avec lui pour réaffirmer leur propriété et les limites territoriales. Comme l’a dit un membre de la communauté : « Nous marquons les poteaux. Nous le revendiquons comme une activité traditionnelle — une force donneuse de vie — et tout ce que nous pouvons faire dans ce but vient s’intégrer à notre manière actuelle de vivre sur le territoire. » Ils utilisent consciemment cette relation de façon stratégique, et revitalisent des usages traditionnels dans des endroits éloignés à l’intérieur du territoire Secwépemc.

La colonisation a œuvré contre notre aptitude à voir les interrelations que nous avons avec le vivant qui nous entoure. En renforçant les connexions avec les cycles saisonniers traditionnels, des recommandations basées sur la saisonnalité peuvent aussi bâtir la résilience climatique des communautés autochtones. En particulier, raviver la gestion traditionnelle des ressources peut aider à atténuer les impacts climatiques. En guise d’exemples, les Secwépemc explorent le brûlage traditionnel au printemps, et les Gitxsan ravivent leur contrôle sur les pêcheries en automne. Ces deux activités mèneront à davantage de pratiques de gestion durable, augmenteront les interactions humaines-environnementales, et renforceront la résilience de la terre et des gens.

Janna Wale est une Gitxsan de la Première Nation Gitanmaax et aussi Crie-Métis du côté maternel. Elle détient avec honneurs un baccalauréat en science des ressources naturelles de l’Université Thompson Rivers, et vient compléter une maîtrise (M.Sc.) en études interdisciplinaires en durabilité à l’Université de Colombie-Britannique-Okanagan. Son sujet de recherche porte sur la résilience climatique chez les communautés autochtones.

 
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