Les origines géologiques de la Cordillère canadienne
Le système de montagne de la Cordillère se compose de plusieurs chaînes de montagnes distinctes qui s'étendent sur la longueur de la marge occidentale du continent nord-américain. Il héberge l'essentiel des ressources énergétiques et minérales du continent, constitue notre source principale d'eau douce, est le dernier bastion de tous nos glaciers subarctiques, et présente l'une des dernières grandes régions sauvages du continent. Or la raison pour laquelle la Cordillère existe en premier lieu soulève des questions auxquelles il est difficile de répondre. Nous comprenons que les plaques tectoniques jouent un rôle clé dans la formation des montagnes. Généralement, une collision se produit entre un continent et un autre, d’où résulte une couche épaissie et montagneuse de croûte continentale flottante. La collision en cours entre l'Inde et la marge sud de l'Asie qui cause l’élévation des montagnes de l'Himalaya et du plateau tibétain sont un exemple récent de ce processus. Mais quelle collision a causé l'émergence de la Cordillère?
Les continents entrent en collision quand les plaques océaniques qui les séparent entrent en subduction : cet enfoncement dans le manteau terrestre causant la fermeture d'un océan. Dans le cas de l'Inde avec l'Asie, le continent indien s'attachait à une plaque tectonique océanique qui s'est subduite sous le continent asiatique, entraînant le continent indien dedans et en dessous de l'Asie. Pendant la collision, la croûte continentale de l'Asie a glissé au-dessus de la croûte continentale indienne, faisant s'élever un système de montagnes (l'Himalaya) qui a progressé sur et contribué à enfoncer la plaque indienne entrante. Il en résulte que les montagnes de l'Himalaya (du sud au nord, pour simplifier beaucoup) se composent de croûte et de sédiment du continent indien, raclés puis repoussés sur le bord avant de celui-ci : une ceinture de basalte et de rochers océaniques, désignée sous le nom de suture (suture du Tsang-Po), est un vestige de l'océan qui, à l'origine, séparait les deux continents et, au nord de la suture, est de la croûte asiatique déformée (illustration 1). La majeure partie de la croûte continentale indienne au sud des montagnes est ensevelie sous des kilomètres de sédiments érodés des hautes montagnes, formant au sud de ce système de montagnes ce que l'on appelle un bassin syn-collisionnel d'avant-pays.
En appliquant ce « modèle » à la Cordillère, il semble que notre système de montagnes résulte de la fermeture d'un bassin océanique situé entre un continent nord-américain s'étendant à l'ouest jusqu'à l'actuelle frontière de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, et un mince « continent de Cordillère » à l'ouest (Johnston, 2008). D’après ce modèle, les Rocheuses représenteraient l'Himalaya, le continent nord-américain représenterait l'Inde, et l'Asie incarnerait le continent cordillérien qui soutient la C.-B. et le Yukon (illustration 2). Les Rocheuses se constituent de croûte nord-américaine repoussée sur elle-même vers l'est, ce qui sous-entend que l'Amérique du Nord, comme l'Inde, s'attachait à une plaque tectonique océanique qui s'est subduite vers l'ouest (Johnston, 2008).
Ce modèle mène à trois prévisions vérifiables : (1) la croûte nord-américaine à l'est des Rocheuses devrait être ensevelie sous des kilomètres de sédiments « syn-collisionels » qui auraient dérivé des montagnes pendant la collision; (2) une suture devrait se trouver à l'ouest des Rocheuses pour indiquer l'emplacement de l'océan fermé; et (3) la croûte continentale de la Cordillère à l'ouest de la suture devrait se distinguer de la croûte nord-américaine à l'est. Or une seule de ces prévisions se vérifie entièrement. L'écorce nord-américaine à l'est des Rocheuses se caractérise par une immense réserve de strates sédimentaires du crétacé supérieur. Près du front des Rocheuses, ces séquences sédimentaires clastiques (grès et mudstone) et ces couches de charbon interstratifiées ont plus de quatre kilomètres d'épaisseur (illustration 2). Elles s'amincissent vers l'est, sont « syn-collisionnelles » et définissent un vaste « bassin d'avant-pays » similaire à celui qui se forme à présent au sud de l'Himalaya. Or la recherche d'une suture de basaltes et de sédiments océaniques vers l'ouest des Rocheuses n'a généré aucun résultat. Comme il n'y a pas de suture perceptible, déterminer s'il se trouve à l'ouest des Rocheuses un domaine continental « cordillérien » qui se distingue stratigraphiquement et géologiquement de la croûte véritablement « nord-américaine » à l'est (illustration 2) reste matière à débat. Et tandis que les données paléontologiques et paléomagnétiques suggèrent que la majeure partie du Yukon et de la C.-B. se trouvait de 2 000 à 3 000 kilomètres au sud de l'Amérique du Nord aussi récemment qu'il y a 70 millions d'années (Enkin, 2006), la plupart des chercheurs de la Cordillère arguent qu'il n'y a pas de suture, que l'« authentique » croûte nord-américaine s'étend à l'ouest jusqu'à ou près de la côte ouest actuelle, et qu'il n'y a pas eu de collision entre continents (Price, 1994).
Mais s'il n'y a pas eu de collision continentale, comment expliquer la présence de ce système cordillérien (English & Johnston, 2004)? La réponse se trouve peut-être du côté d'un autre système, situé au sud : les Andes. Ce système de montagnes, incluant le plateau de l'Altiplano, demeure le plus élevé au monde après le plateau himalayen/tibétain. Pourtant, la marge andine occidentale de l'Amérique du Sud se caractérise par la subduction d'une plaque tectonique océanique (la plaque de Nazca) sous le continent. Il ne s’y trouve pas de « collision continentale », ce qui suggère que la subduction pourrait faire émerger des systèmes de montagnes. Pourtant la subduction, qui d’habitude consiste en l'ensevelissement gravitationnel de la plaque tectonique océanique, entraîne habituellement l'extension, l'affaissement, le développement en bassin et l'inondation de la plaque continentale adjacente — des phénomènes qui sont l'exact opposé des montagnes. Aussi la raison pour laquelle la subduction entraînerait, à certains moments de l'histoire de la Terre, l'érection de systèmes de montagnes (la Cordillère pendant le Crétacé et les Andes aujourd'hui) quand d’habitude elle a l’effet opposé, demeure une question majeure et irrésolue pour notre compréhension des plaques tectoniques, du comportement de la terre ferme et de l'évolution temporelle profonde du système terrestre.
À propos de l'auteur
Stephen est président du département des sciences de la terre et de l'atmosphère de l'Université de l'Alberta. Ses recherches portent sur les origines et la signification tectonique des chaînes de montagnes, tant anciennes qu'en formation, de l'Amérique du Nord occidentale et arctique, de l'Amérique du Sud, de la Mélanésie, de la Chine, de l'Afrique du Sud et de l'Europe.
Références mentionnées
Dezes, P., 1999. Tectonic and Metamorphic Evolution of the Central Himalayan Domain in southeast Zanskar (Kashmir, India). Mémoires de Géologie (Lausanne), 32, 148 pp.
English, J.M. et Johnston, S.T., 2004. The Laramide orogeny: What were the driving forces?. International Geology Review, 46(9), 833-838.
Enkin, R.J., 2006. Paleomagnetism and the case for Baja British Columbia. Paleogeography of the North American Cordillera: evidence for and against large-scale displacements. Edited by JW Haggart, RJ Enkin, and JWH Monger. Geological Association of Canada, Special Paper, 46, 233-253.
Johnston, S.T., 2008. The Cordilleran Ribbon Continent of North America. Annual Review of Earth and Planetary Sciences, 36, 495-530.
Price, RA (1994): Cordilleran Tectonics and the Evolution of the Western Canada Sedimentary Basin; in Geological Atlas of the Western Canada Sedimentary Basin, G.D. Mossop and I. Shetsen (comp.), Canadian Society of Petroleum Geologists and Alberta Research Council, URL https://ags.aer.ca/publications/chapter-2-cordilleran-tectonics.htm