Un retour au brûlage dans le Lax’yip des Gitanyow
par Kira Hoffman, Darlene Vegh, et Kevin Koch
Kevin Koch conducting a cultural burn in Wilp Gwass Hlaam in the spring of 2024. Photo: Marty Clemens
Les cinq saisons d’incendies de forêt les plus importantes en termes de superficie brûlée, d’intensité et d’impacts socio-écologiques en Colombie-Britannique ont toutes eu lieu depuis 2017. En 2023, plus de 2.8 millions d’hectares ont brûlé, dont 82% dans le nord de la C.-B[1]. Au moment d’écrire ces lignes, la mi-juillet 2024, nous subissons à nouveau les impacts importants des incendies de forêt alors qu’il reste plusieurs semaines à la saison des feux. Les incendies de forêt extrêmes ont été amplifiés par un siècle de suppression efficace des incendies, le réchauffement rapide du climat, et une industrie forestière à large échelle[2]. De plus, l’expulsion forcée des peuples autochtones de leurs territoires par la colonisation a érodé les pratiques de gestion de la subsistance, y compris le brûlage culturel. Et même si le feu peut s’avérer effrayant et destructeur, il demeure une part intégrante des espèces et des écosystèmes de toutes les régions de la C.-B[3]. La gestion proactive des incendies par les brûlages dirigés et culturels apporte d’importants bienfaits aux écosystèmes, à la faune et aux communautés humaines. Et si la science et les connaissances autochtones en matière d’incendies sont de plus en plus reconnues, la recherche sur l’adaptation au climat, les écosystèmes et la sécurité alimentaire demeure principalement axée sur les systèmes de connaissances scientifiques occidentaux[4].
“Environ 60% des communautés autochtones du Canada restent dans des zones forestières éloignées, et elles sont à 42% plus à risque d’être évacuées par
des incendies de forêt”
Darlene Vegh (avant-plan) et Kira Hoffman (arrière-plan) utilisent des lance-flammes à action localisée pour enflammer des broussailles sèches et denses lors d’un brûlage culturel à Wilp Gwass Hlaam. Photo Marty Clemens
Les peuples autochtones se servent du feu comme d’un outil pour gérer les ressources et protéger la communauté depuis des millénaires. Non statiques, ces pratiques se sont adaptées avec le temps aux changements de végétation et de climat. Historiquement, les forêts et les prairies autour des sites d’habitation étaient régulièrement brûlées pour garder accessibles les zones de collecte de nourriture comme les parcelles de baies, les jardins de racines et les vergers[5]. Ces « tables alimentaires » étaient renforcées par le feu qui augmentait la production de nourriture et de plantes médicinales, créait du fourrage pour le gibier, et protégeaient les communautés des incendies indésirables. Environ 60% des communautés autochtones du Canada restent dans des zones forestières éloignées, et elles sont à 42% plus à risque d’être évacuées par des incendies de forêt.[6] Notre projet collaboratif de recherche avec la Nation Gitanyow explore comment la revitalisation des pratiques de gestion des feux peut aider à augmenter la santé et la biodiversité des écosystèmes et protéger des valeurs culturelles et économiques critiques du risque croissant des incendies de forêt.
“La connaissance indigène du feu n’a pas été oubliée, mais l’extinction culturelle
des incendies et les impacts coloniaux sur les populations et la terre lui ont fait subir des pertes.”
Le Lax’yip (territoire) des Gitanyow s’étend sur environ 6 200 kilomètres carrés entre les rivières Skeena et Nass. Comme il contient de nombreuses espèces végétales et animales d’importance culturelle ainsi que des habitats essentiels, s’assurer que le feu, lakw, retourne à une manière d’honorer son activité historique, naturelle et culturelle est important. L’équipe reconnaît aussi le besoin de s’adapter à un climat aux changements rapides et d’assurer que les endroits où des brûlages culturels ont lieu aujourd’hui ou auront lieu soutiendront les générations futures. Pour comprendre les pratiques traditionnelles en matière de feu, nous avons mené des entretiens avec des anciens et des membres du Wilp (groupe de la maison). Nous utilisons la langue Gitanyow lorsque possible pour célébrer la revitalisation et la souveraineté autochtones. Nous reconnaissons aussi les Ayookxw (lois), les pratiques, l’histoire et la présence des Gitanyow sur le territoire comme étant continus et reflétant à la fois leur passé commun et les générations futures. Notre programme contribue à renforcer les capacités et l’expérience des praticiens dans le cadre du programme des gardiens Gitanyow du territoire Lax’yip.
Au printemps 2024, nous avons entamé le processus de rendre le feu au Lax’yip (territoire) Gitanyow. Nos efforts collaboratifs avaient le soutien des Simgigyet’m (chefs héréditaires) Gitanyow, du BC Wildfire Service, du Pacific Institute for Climate Solutions, de National Geographic, et de la Trebek Initiative. Lakw (le feu) fut rendu à deux types de forêt adjacents à la communauté Gitanyow : le sbagaytgangan (mixte de conifères et de trembles) et l’am’melk’ali’aks (de peupliers de plaine inondable). Des brûlages furent complétés au printemps, où des parcelles de neige limitaient la propagation du feu dans la limite forestière : en cette saison, la végétation sèche ou morte brûle facilement, mais les troncs et les arbres plus massifs, gardés humides par les mois d’hiver, sont moins susceptibles de s’enflammer. Le brûlage contribua à créer du fourrage (herbe nouvelle, herbacée et arbustes boisés) pour des ongulés tels que le xa’daa (orignal [Alces alces]) et soutenir les premières denrées alimentaires de base comme le ts’anksa’gaa (ail penché [allium]), la gasx (fritillairedu Kamchalka [Fritillaria camschatcensis]), la sdetxs (grande ortie [Urtica dioica]), et beaucoup d’autres plantes alimentaires ou médicinales. Veuillez consulter First Voices (www.firstvoices.com) pour en savoir plus sur la langue Gitanyow.
Darlene Vegh et Kira Hoffman discutent de l’utilisation du feu pour augmenter la croissance de l’ail penché lors d’un brûlage printanier à Wilp Gwass Hlaam. Photo Marty Clemens
La souveraineté alimentaire est une composante importante et irremplaçable de la reconstruction du bien-être collectif autochtone et se centre sur la récolte et la consommation d’aliments et de médicaments gérés par le lakw (feu)[2]. Le brûlage culturel développe aussi la capacité de s’adapter au changement climatique, en fournissant des choix pour mener une vie saine en connexion avec le lieu. Les changements environnementaux actuels menacent l’alimentation et la santé des peuples autochtones autour du globe, et revenir aux manières traditionnelles de gérer le territoire peut uniquement s’accomplir avec un accès suffisant à des écosystèmes restaurés. Pour plusieurs populations autochtones, l’alimentation et la santé ne sont pas les seules à être en jeu, mais aussi l’entretien complet de leurs identités et leurs systèmes de savoirs.
“La souveraineté alimentaire est une
composante importante et irremplaçable de la reconstruction du bien-être collectif autochtone et se centre sur la récolte et la consommation d’aliments et de médicaments gérés par le lakw (feu).”
La connaissance indigène du feu n’a pas été oubliée, mais l’extinction culturelle des incendies et les impacts coloniaux sur les populations et la terre lui ont fait subir des pertes. Grâce à des partenariats en collaboration, les gardiens Gitanyow du Lax’yip ont complété le premier brûlage culturel depuis presque un siècle. Pour la communauté Gitanyow, ce retour au brûlage restaure un mode de vie et un cycle degestion du feu utilisés depuis des millénaires.
Dr. Kira Hoffman est une écologiste des incendies et une praticienne des feux qui soutient le programme Gitanyow de gestion des incendies. Une ancienne, Darlene Vegh est une experte autochtone des incendies originaire de Wilp Wii Litsxw, de la nation Gitanyow. Kevin Koch est biologiste de la faune et responsable du programme des gardiens Gitanyow du territoire Lax’yip.
References
Jain, P., Barber, Q. E., Taylor, S., Whitman, E., Acuna, D. C., Boulanger, Y., ... & Parisien, M. A. (2024). Canada Under Fire– Drivers and Impacts of the Record-Breaking 2023 Wildfire Season. Authorea Preprints.
Hoffman, K. M., Christianson, A. C., Gray, R. W., & Daniels, L.(2022). Western Canada’s new wildfire reality needs a new approach to fire management. Environmental Research Letters,17(6), 061001.
Copes-Gerbitz, K., Daniels, L. D., & Hagerman, S. M. (2023). The contribution of Indigenous stewardship to an historical mixed-severity fire regime in British Columbia, Canada. Ecological Applications, 33(1), e2736.
Dickson-Hoyle, S., Ignace, R. E., Ignace, M. B., Hagerman, S. M., Daniels, L. D., & Copes-Gerbitz, K. (2022). Walking on two legs: a pathway of Indigenous restoration and reconciliation in fire-adapted landscapes. Restoration Ecology, 30(4), e13566.
Turner, N. J. (2008). The earth’s blanket: Traditional teachings for sustainable living. D & M Publishers.
Christianson, A. C., Johnston, L. M., Oliver, J. A., Watson, D., Young, D., MacDonald, H., ... & Bautista, N. G. (2024). Wildland fire evacuations in Canada from 1980 to 2021. International Journal of Wildland Fire, 33(7).
Turner, N. J., Ignace, M. B., & Ignace, R. (2000). Traditional ecological knowledge and wisdom of aboriginal peoples in British Columbia. Ecological applications, 10(5), 1275-1287.