Il fait noir sombre : La caverne Castleguard nommée Zone clé pour la biodiversité

 

by Greg Horne


Nouvelle signalétique dans le passage Subway de la caverne Castleguard. Photo Colin Magee

La Wildlife Conservation Society Canada (WCS) met en oeuvre un plan pour chercher, nommer et contribuer à la désignation de Zones clés pour la biodiversité (ZCB, ou KBA pour Key Biodiversity Areas) à travers le pays. Sa mission se lit comme suit :

Le passage Subway de la caverne Castleguard. Photo Kathleen Graham

Les Zones clés pour la biodiversité… sont pour certaines espèces et leurs habitants les lieux les plus importants au monde. Devant une crise environnementale mondiale, nous avons besoin de concentrer nos efforts pour conserver les lieux qui importent le plus. Le Programme KBA soutient l’identification, la cartographie, la surveillance et la conservation des KBA pour aider à sauvegarder les sites de notre planète les plus importants pour la nature — des forêts pluviales aux coraux, des montagnes aux marais, des déserts aux prairies, en passant par les parties les plus profondes des océans. L’appellation de KBA offre un moyen de souligner l’importance d’une région, mais ne fournit pas de protection en tant que telle. Cependant la mise en évidence de ces régions devrait inciter le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et autochtones, ainsi que les entreprises à prendre des mesures pour protéger les valeurs qui ont mené à cette appellation. Le processus d’appellation KBA est aussi un outil important pour identifier des zones à haute valeur écologique qui sont indispensables au maintien de la biodiversité. Ce qui peut nous aider, par exemple, à éloigner des zones à la biodiversité faible ou limitée notre planification des aires protégées au Canada pour l’orienter vers des zones plus productives et écologiquement importantes qui contribueront davantage à protéger la biodiversité dans des paysages plus grands.[1]

Le 30 janvier 2023, Parcs Canada et la WCS émettaient un communiqué de presse conjoint après des mois d’évaluation et de discussion. « Un petit trésor naturel vient d’être découvert, » disait-il, « dissimulé sous les profondeurs d’une montagne. » [2] La radio de l’après-midi de la CBC à Edmonton et Calgary s’est saisie de l’histoire, et un journaliste m’a plus ou moins demandé à quel point la caverne était sombre. J’ai expliqué qu’elle avait une longueur de 21 kilomètres, que la lumière y pénétrait à un maximum de 200 mètres, et que par conséquent dans 99 p cent de la caverne il faisait noir sombre.

La Société géographique royale du Canada a couvert l’histoire.[3] BBC Canada, Gripped Magazine et CTV Calgary ont diffusé d’autres contenus en ligne. En décembre, la WCS a présenté une courte vidéo à la Conférence de Montréal de 2022 sur la biodiversité (COP 15).

En quête d’invertébrés. Photo Colin Magee 

Castleguard est à ce jour la seule caverne — la plus longue du Canada — à recevoir au pays l’appellation de KBA. Une autre caverne au moins avait été envisagée en Colombie-Britannique puis rejetée, de crainte que sa nomination, sans gestion pour sa protection, crée ou augmente les impacts sur ses ressources. La caverne Castleguard, quant à elle, se trouve dans le parc national Banff et est protégée par un portail verrouillé. Il n’est pas attendu que son appellation crée un impact sur les visites.

L’amphipode Stygobromus canadensis à la caverne Castleguard. Photo Greg Horne

La WCS émet que les « sites peuvent être désignés sous l’un de ces cinq critères : biodiversité menacée, biodiversité géographiquement restreinte, intégrité écologique, processus biologiques, et irremplaçabilité. » La principale espèce déclenchante pour cette KBA est Stygobromus canadensis, un amphipode aquatique de caverne strict jusqu’à présent rencontré dans seulement trois emplacements de la caverne. Découverte en 1977 au cours d’une importante expédition de l’université McMaster dirigée par Derek Ford, cette espèce d’invertébré, en plus de l’isopode aquatique Salmasellus steganothrix, beaucoup plus largement réparti dans la caverne Castleguard, fut prélevée pour son identification taxonomique. John Holsinger (Virginie, É.-U.), expert international en amphipodes, qualifia l’amphipode d’espèce unique et nouvelle, et on ne la trouve jusqu’à présent que dans la caverne Castleguard.

Au départ, Stygobromus canadensis n’était repéré que dans des bassins peu profonds près de l’extrémité de l’iconique passage Subway, à deux kilomètres de l’entrée environ. Plus récemment, en notre vingt et unième siècle, deux sites supplémentaires à Castleguard ont été découverts : dans un ruisseau près du Camp 1 et un bassin calme en direction de Boon’s Sump. La seconde espèce déclenchante de cette KBA, Salmasellus steganothrix, se trouve à six endroits de la caverne au moins : la paroi latérale de l’entrée de Ice Crawls, The Pools, Boon’s Sump, Subway, près du Camp 1, et à la seconde fissure près de la jonction F7. Des recherches plus approfondies feront assurément découvrir d’autres sites.

L’isopode Salmasellus Steganothrix à la caverne Castleguard. Photo Greg Horne

En plus des deux espèces mentionnées précédemment, deux autres invertébrés aquatiques ont été découverts : un ver (Rhynchelmis saxosa, identifié par S.V. Fend, prélevé par l’auteur dans les cavernes Castleguard et Wood Buffalo), une espèce de ver plat planarien, et au fond de la caverne un minuscule acarien terrestre (Robustocheles occulta).

En se basant sur la datation isotopique des stéléothèmes (des formations similaires aux stalagmites), les passages de la caverne traversables par l’humain ont au moins 700 000 ans. C’est un paysage très ancien pour le Canada, dont les paysages actuels sont âgés de dix à vingt mille ans après avoir été révélés par la fonte de la glace de glacier terrestre. Certaines des espèces invertébrées de Castleguard s’occupaient sans doute de leur survie au quotidien durant les époques passées de grande glaciation, la caverne servant d’abri sous-glaciaire à certaines espèces de la faune préglaciaire. 

Il y a très peu de connaissances sur le cycle vital de Stygobromus canadensis et de Salmasellus steganothrix dans le contexte de Castleguard. Quels sont leur source d’alimentation, leur durée de vie, leur cycle reproductif? Ces questions comme bien d’autres sont autant de raisons de continuer de les étudier et de les surveiller. Le fait qu’une bestiole aveugle et sans pigmentation, ayant à peine la taille d’un grain de riz, attire même brièvement notre attention prouve que nos efforts à mieux comprendre les cavernes et ce qu’on y trouve en valent la chandelle.


Membre de l’Alberta Speleological Society, Greg Horne a visité la caverne Castleguard plus de 20 fois ces derniers 27 ans. Il effectue des recherches sur l’actuelle hydrologie des crues et de la formation de glace de la caverne et son possible lien avec le changement climatique.


Références

1 Pour en savoir plus sur la Wildlife Conservation Society, consulter https://www.wcscanada.org/KBA.aspx

2 Consulter https://www.wcscanada.org/Latest-News/ID/18625/A-tiny-natural-treasure-buried-deep-beneath-a-mountain.aspx. Note : l’invertébré identifié sur la photo est incorrect et se rapporte à une autre espèce de Castleguard, Salmasellus steganothrix. 

3 https://canadiangeographic.ca/articles/castleguard-cave-recognized-as-a-globally-significant-key-biodiversity-area/ 

 
Science, EnvironmentACC