Renverser l’extinction du pin à écorce blanche
Par Alana Clason et Randy Moody
Cônes de pin à écorce blanche. Photo Alana Clason
Le pin à écorce blanche est un arbre emblématique qui se trouve dans les montagnes de l’ouest de l’Amérique du Nord. De la Sierra Nevada aux monts Omineca au centre nord de la Colombie-Britannique, le pin à écorces blanches a subi un déclin généralisé au cours de ce siècle, le qualifiant d’« en voie de disparition » dans la Loi canadienne sur les espèces en péril.
Ce pin accueille les visiteurs des montagnes arrivés aux altitudes de la limite forestière et fait souvent sur eux une impression mémorable, avec ses formes ramifiées et parfois noueuses. Il est utilisé depuis des temps immémoriaux pour des usages traditionnels par les peuples autochtones des montagnes. Le pin à écorce blanche accueille aussi de nombreux fourrageurs. Ses graines nourrissent un vaste réseau faunique, de l’ours grizzly à l’écureuil et, plus important, le Cassenoix d’Amérique. Un peu plus grand qu’un Mésangeai du Canada (ou Geai gris), le Cassenoix d’Amérique a la tâche importante d’être le seul agent de dispersion de la semence de l’arbre. Avec son incroyable mémoire spatiale, le Cassenoix cache des milliers de graines, et s’il se souvient de leur emplacement et s’en nourrit, des caches oubliées dans des lieux adéquats permettent d’établir de nouveaux semis de pin à écorce blanche.
“La rouille vésiculeuse affecte le pin à écorce blanche dans toute son aire de répartition.”
Après un incendie, un planteur d’arbres rétablit le pin à écorce blanche. Photo Facundo Gastiazoro
Ce mutualisme, relation où deux espèces bénéficient de l’autre, est essentiel au maintien des écosystèmes de pin à écorce blanche aujourd’hui et dans le futur. Depuis l’introduction en Amérique du Nord de la rouille vésiculeuse du pin blanc il y a plus d’un siècle, les pins à cinq aiguilles ont été exposés au pathogène sans disposer de défenses naturelles évoluées. La rouille vésiculeuse affecte le pin à écorce blanche dans toute son aire de répartition, causant une bonne part de son déclin et captant l’attention des efforts de rétablissement. Si le pin blanc n’est pas résistant à cette rouille, sa résistance varie, certains arbres semblant mieux résister que d’autres. Si la rouille vésiculeuse était sa seule menace, cette espèce importante d’arbre de montagne évoluerait peut-être au fil du temps pour s’adapter à ce pathogène. Cependant, les épidémies persistantes ou éruptives de dendroctone du pin ponderosa et la modification des régimes d’incendie menacent également le pin à écorce blanche. La suppression des incendies et la perte de l’intendance autochtone des feux parmi ses habitats peuvent diminuer la quantité des premiers incendies de transition ou de faible intensité qui soutiennent le bon établissement et les conditions favorables à la croissance du pin à écorce blanche. Cependant, la plus grande menace émergente des incendies réside dans la fréquence ou l’intensité accrues des incendies de forêt qui peuvent tuer les éventuels pins à écorce blanche qui savent résister à la rouille vésiculeuse. Le changement climatique peut affecter la capacité du pin à écorce blanche à rivaliser pour l’espace dans les habitats qu’il occupe déjà, tout en augmentant les dangers de la rouille vésiculeuse, du dendroctone du pin ponderosa et des incendies.
Graines de pin à écorce blanche en train de sécher. Photo Facundo Gastiazoro
Avec des pertes aussi abondantes, les écosystèmes de pin à écorce blanche ont besoin d’aide. Le rétablissement dans ce cas ne concerne pas seulement l’espèce, mais le maintien de l’écosystème, et spécialement le mutualisme entre le pin à écorce blanche et le Cassenoix d’Amérique. Nous en savons assez peu sur le lieu, le moment et sous quelles conditions les Cassenoix d’Amérique visitent de nombreux peuplements et populations de pins à écorce blanche à travers les montagnes de l’ouest canadien. Mais nous savons qu’il est essentiel d’assurer un approvisionnement en graines suffisant pour que ce disperseur continue à établir activement des arbres afin de maintenir les populations actuelles et futures de pin à écorce blanche. Pour soutenir le rôle des Cassenoix d’Amérique dans le rétablissement du pin à écorce blanche, plusieurs groupes, partenariats et collaborations se sont formés. Le Canada a, par exemple, la Whitebark Pine Ecosystem Foundation of Canada qui montre la voie du rétablissement en partenariat avec plusieurs Premières Nations, les gouvernements provinciaux et fédéraux, les organismes à but non lucratif, l’industrie, des groupes communautaires locaux, et davantage. Le rétablissement de l’écosystème ressemble beaucoup à l’écosystème même : un réseau d’organisations et de personnes positives et solidaires travaillant ensemble pour sauvegarder la présence du pin à écorce blanche dans et à travers nos paysages de montagne.
Semis en croissance à la pépinière de Woodmere à Telkwa, C.-B. Photo Ingrid Farnell
Au cours des dix dernières années, la science et l’art du rétablissement du pin à écorce blanche au Canada ont fait des pas de géant, avec une expertise et une expérience qui s’accroissent toujours à chaque étape du rétablissement. Nous savons mieux identifier les meilleurs arbres, ceux qui paraissent exempts de rouille vésiculeuse dans des zones de forte infection. Nous disposons d’un groupe de plus en plus important de grimpeurs d’arbres qualifiés, de pépinières et de planteurs compétents pour collecter les graines, faire pousser les jeunes plants et les planter dans des sites appropriés. Nous avons appliqué de la verbénone pour réduire les risques d’attaques par les dendroctones du pin, spécialement sur les arbres résistants à la rouille. Nous avons travaillé avec l’industrie pour réduire le nombre d’arbres affectés ou restaurer ces régions après l’impact. Nous avons travaillé avec les stations de ski commerciales pour augmenter la sensibilisation et réduire les impacts sur les écosystèmes de pin à écorce blanche durant leurs saisons actives. Nous disposons maintenant au Canada d’un programme de détection de la rouille qui fournit une importante information aux ramasseurs de cônes sur les arbres à prélever, et ceux qu’il faut éviter. Nous avons établi des vergers à graines, où les arbres les plus résistants sont greffés afin de fournir un jour un approvisionnement accru des graines les plus résistantes à la rouille. Et, fait important, nous continuons de bâtir et d’accroître le réseau des personnes compétentes et passionnées par qui tout a commencé, qui se soucient, et continuent d’apprendre et d’améliorer le rétablissement du pin à écorce blanche.
“Que peuvent faire les membres du CAC pour participer?”
Un grimpeur récupérant des cônes en fin de saison. Photo Ingrid Farnell
Que peuvent faire les membres du CAC pour participer? Que peuvent faire les amateurs de plein air? Apprendre à identifier le pin à écorce blanche et la rouille qui est en train de le tuer. Informez-nous sur l’endroit où vous avez repéré l’arbre et sur son état de santé lorsque vous êtes sortis dans les montagnes. Inscrivez-vous sur iNaturalist et signalez vos décou - vertes, en fournissant des photos. Ces observations nous aideront à mieux connaître l’emplacement des arbres et l’état de santé de leurs peuplements, pour soutenir la bonne planification et les bonnes actions de rétablissement. Il est possible que les arbres que vous repérez et signalez s’intègrent au processus de rétab - lissement de cette importante espèce
Alana Clason, D., est une écologiste des forêts et une chercheuse scientifique établie à Smithers, C.-B., qui se spécialise dans le rétablissement du pin à écorce blanche et qui soutient la gestion forestière pour de nombreuses valeurs. Randall Moody, MSc, est un spécialiste du rétab - lissement du pin à écorce blanche doué de vingt ans d’expérience. Président et cofondateur de la Whitebark Pine Ecosystem Foundation of Canada, il est établi à Kimberley, C.-B.