Une nouvelle carotte de glace du mont Logan

 

Alison Criscitiello

À l’automne de 2022, après quatre longues années de planification, d’un nombre étourdissant de reports dus à la pandémie, et d’une reconnaissance réussie (mais hâtive) en 2021, nous avons foré et extrait une carotte de glace de 327 mètres hors de l’éprouvant plateau du sommet du mont Logan. Les hauts étaient élevés (une carotte de glace prélevée à une altitude record, livrant des dizaines de milliers d’années d’aperçus climatiques) et les creux étaient dévastateurs (seule une moitié de notre équipe de départ est allée jusqu’au bout). Il a fallu onze jours de forage en haute altitude, quatorze heures par jour, avec une logistique quasi impossible pour atteindre notre but. Mais commençons par le commencement. 

L’auteure en route vers le col Prospector à partir du camp 3, en hauteur sur l’itinéraire du fossé de King. Photo : Rebecca Haspel 

Prélever une carotte de glace sur le plateau du sommet du mont Logan exigeait d’escalader la montagne d’abord pour que l’équipe de forage s’acclimate pour vivre et travailler de façon sécuritaire à des latitudes élevées à 5 300 mètres. Nous avons volé jusqu’au camp de base le 2 mai et escaladé l’itinéraire du fossé King pour accéder en dix jours au plateau du sommet. En raison de ses hautes latitudes nordiques, l’altitude du Logan met rudement le corps à l’épreuve. Nous avons fait notre chemin vers le sommet par ascension en double, montant chaque section deux fois, pour découvrir le même point central que l’année précédente — la chute de glace du col King. Cette chute, qui historiquement s’était skiée assez simplement, était devenue ces dernières années un labyrinthe mobile et exposé de séracs.1 Nous l’avons soigneusement traversée deux fois (une fois lors de notre transport vers le camp 3, puis lors de notre remontée le jour suivant), juste pour se dire « bon débarras! » des semaines plus tard à notre descente finale en ski. Le 15 mai, après une nuit avec des vents de plus de 80km/hres dans le camp 3 en contrebas du col Prospector, nous avons skié le haut col en amont pour atteindre le sommet et le camp du plateau. 

L’auteure en route vers le col Prospector à partir du camp 3, en hauteur sur l’itinéraire du fossé de King. Photo : Rebecca Haspel

L’ascension du mont Logan n’est pas un mince effort, mais dans ce cas arriver au plateau du sommet était le vrai début. Même si nous avions accompli, le mois de mai précédent, une enquête radar sur le plateau qui nous permettrait de situer le site de forage idéal, nous fîmes un dernier relevé radar le 18 mai de cette année pour affiner l’endroit final du forage. La foreuse même — une Canadian Eclipse — et tout l’équipement et les fournitures de carottage étaient héliportés par chargements de 300 livres et un pilote sous oxygène. En un jour, nous avions installé la foreuse et le camp, et la course pour le fond était lancée. Le jour 1, nous avons foré soixante mètres de glace, mais à mesure que le travail avançait, ce taux quotidien diminuerait en raison du temps de déplacement augmenté — de haut en bas — de l’appareil dans le trou de forage. L’onzième jour, par exemple, nous n’avons foré que vingt-trois mètres. Alors qu’un de nos membres avait dû redescendre pendant notre ascension, deux autres ont dû repartir alors qu’ils travaillaient sur le plateau du sommet. Tout cela lié aux impacts de l’altitude sur le corps.

Outre trois couches volcaniques distinctes, les carottes sont apparues les unes après les autres, jour après jour, ad nauseam. Nous avons établi un horaire en rotation qui nous permettrait de faire fonctionner la foreuse quatorze heures par jour, tout en nous permettant de prendre du repos en journée pendant que nous nous détériorions lentement à force de travailler et de vivre à cette altitude. Nous n’utilisions pas de fluide de forage (ce qui est inhabituel quand la profondeur atteint plus de ~100 mètres), et je craignais qu’il y ait un prix à payer pour la qualité des carottes plus profondes. Cette crainte se révéla étonnamment infondée, alors que la glace ramenée des plus grandes profondeurs se révéla assez peu fracturée. Le 30 mai, nous avons foré à 327 mètres notre dernier mètre de carotte, et nous avons immédiatement commencé à remballer la foreuse et le camp de forage. Désormais, il s’agissait de redescendre aussi vite que possible, vers l’oxygène et la chaleur. 

Une photo après-coup des membres de l’expédition Perpetual Planet du National Geographic et de Rolex près du lac Kluane. De gauche à droite : Dominic Winski, Etienne Gros, Steve Andrews (équipe du film), Rebecca Haspel, Alison Criscitiello, Greg Hill (soutien à l’équipe du film), Bradley Markle, Leo Hoorn (équipe du film). Photo : Kristina Miller

Nous avions tiré profit de toutes les fenêtres de beau temps sur le plateau du sommet, acheminant la glace par hélicoptère à chaque occasion où plusieurs chargements étaient en place. Au résultat, le lendemain du jour où nous avions foré notre dernier mètre de carotte glaciaire, nous avons pu expédier le dernier chargement par les airs et skier jusqu’au camp de base — avant, par chance, de nous envoler le soir même. La lente monotonie des jours précédents s’était soudain changée en sprint. 

Après avoir été héliportée du plateau, la glace fut livrée directement par avion dans un bidon de congélation établi à Silver City, la piste d’atterrissage du parc national et réserve de parc national Kluane utilisée pour la plupart des vols au St. Elias et les chaînons des Glaciers. L’appareil de congélation y patientait pendant notre séjour sur le plateau, à recevoir des chargements de glace, avec des pièces de remplacement pour chaque composante de son précieux congélateur ainsi qu’un technicien sur place. Quand le dernier chargement est parvenu à la boîte de congélation, elle a été camionnée vers le sud jusqu’au Laboratoire d’étude des noyaux de glace du Canada (CICL) à Edmonton (Alberta), presque avant que j’arrive chez moi. Avec cette glace conservée en sécurité à CICL, et beaucoup de travail et d’analyse en perspective, il y a désormais beaucoup plus de questions que de réponses sur les découvertes que cette glace contient, et sur la durée réelle de ce qu’elle enregistre.

Rebecca Haspel et Alison Criscitiello au sommet du col Prospector, heureuses d’avoir remplacé le capteur de mesure du vent de la station météorologique la plus élevée d’Amérique du Nord. Photo : Leo Hoorn

Il y a des questions non scientifiques aussi, auxquelles je me suis trouvée à réfléchir — auxquelles la glace, indirectement, a déjà répondu. Qu’est-ce qui nous fait continuer quand nos corps n’en peuvent plus de souffrir et d’être au plus bas? Quand notre équipe est diminuée de moitié par le fait de rester trop en hauteur trop longtemps? Qu’est-ce qui nous fait continuer de travailler dur dans un air raréfié pour une cause commune qui, sur la durée, semble impossible? C’est les personnes avec qui l’on s’entoure, et un rêve qui est plus grand que nous tous. 


Alison Criscitiello est une scientifique des carottes de glace et une alpiniste de haute altitude. Elle est directrice du Laboratoire d’étude des carottes de glace du Canada (CICL) à l’Université de l’Alberta. Dans le cadre du National Geographic and Rolex Perpetual Planet Expedition, l’expédition au Mont Logan se composait d’Alison Criscitiello, Rebecca Haspel, Etienne Gros, Dominic Winski, Bradley Markle, Seth Campbell et Kirk Mauthner.


References

1 Voir : Zac Robinson, “Last icy stand: Four researchers team up too ascend Mount Logan, measuring change and resilience on Canada’s highest peak,” Canadian Geographic (Mar/Apr 2022): 32-45. https://canadiangeographic.ca/articles/last-icy-stand-scaling-mount-logan/ (En anglais.)

 
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