Perdre son sang-froid: l’industrie Canadienne du ski dans un climat en réchauffement

 

par Daniel Scott et Natalie Knowles

Dr. Daniel Scott est un professeur de l’Université de Waterloo qui a profondément travaillé sur le tourisme durable, avec une attention spéciale sur l’adaptation aux impacts complexes des changements climatiques et la transition vers une économie touristique faible en carbone.Nat Knowles a un doctorat en géographie et se pas-sionne d’explorer les paysages sauvages et les diversescultures de la planète, de la conservation des forêts tropicales dirigée par les autochtones en Amazonie brésilienne à la science du climat dans les communautés montagnardes du Canada.


L’hiver dernier, la chute de neige tardive et inhabituelle, les températures chaudes et la pluie, et les défis de l’enneigement artificiel faisaient parler de changement climatique dans les files d’attente du Canada, pendant que des pentes boueuses et vertes apparaissaient dans les médias sociaux. Depuis longtemps le « canari dans la mine » du changement climatique pour l’industrie du plein air, les impacts visibles de notre première expérience d’un monde plus chaud de +1.5°C dans les montagnes canadiennes et les sports de neige donna un aperçu inquiétant du futur. À l’approche de la saison de 2024-25, nos montagnes montrent l’urgence d’atteindre, ces prochaines vingt-cinq années, la neutralité carbone (zéro émissions nettes) de l’Accord de Paris.

Photo: Daniel Scott

Si l’industrie du ski n’est peut-être pas une priorité pour les décideurs politiques en temps de crise climatique, cette industrie de plusieurs milliards de dollars fournit de l’emploi à quelque quarante milleCanadiens [1] en plus d’être une attraction touristique majeure pour le pays et d’être vitale pour de nombreuses communautés de montagne. Avec le réchauffement des hivers de cette décennie et les défis croissants de la fabrication de neige en début de saison, le ski au Canada a connu un déclin, passant de 18.6 millions de visiteurs (moyenne annuelle de 2009-2014) à 18.4 millions (2015-2019), avec une fréquentation en baisse au Québec et une fréquentation stagnante en Ontario et en Alberta [2]. Si cet exemple indique les risques liés au réchauffement des hivers, les incertitudes quant aux conséquences de plusieurs saisons consécutives raccourcies par le climat sur la fréquentation et la participation aux activités de ski sont nombreuses. Les preuves suggèrent que l’époque culminante des saisons de ski est passée, quand tous les scénarios des décennies à venir pointent vers des saisons de ski plus courtes et variables. En tenant compte de la prégnance du changement climatique pour l’industrie du ski, la manière dont nos destinations de montagne réagiront aux risques du changement climatique aura des répercussions profondes sur la résilience économique des milieux du sport, du tourisme, de la subsistance, de l’immobilier et des communautés.

Un canon à neige au Canmore Nordic Centre, Alberta, 2007.

L’avenir régional de l’industrie canadienne du ski

Si les objectifs climatiques internationaux visent généralement à limiter le réchauffement planétaire à moins de +2°C, le réchauffement et ses impacts climatiques varient largement à l’échelle régionale et sont plus prononcés dans les régions de montagne. Nos recherches indiquent d’importantes implications pour tous les plus grands marchés régionaux de ski au Québec, en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique. Des recherches parues cette année ont découvert que les régions de ski de la C.-B. connaissaient des saisons moyennes (156 jours) légèrement supérieures à celles de l’Alberta (environ 153 jours), quand dans tous les scénarios climatiques futurs, l’Alberta résiste davantage au changement climatique. Dans le cadre d’un avenir à fortes émissions conforme aux tendances mondiales actuelles, et même avec une fabrication avancée de neige artificielle, les projections quant au déclin des saisons moyennes de ski sont de 16% (128 jours) en Alberta quand elles atteignent 21% (122 jours) pour la C.-B. Un avenir à émissions réduites limite les réductions de la saison moyenne de ski à 8% en Alberta et 16% en C.-B. Les zones de ski côtières ou de basse altitude de la C.-B.devraient subir des effets négatifs plus importants. Par rapport à d’autres marchés nord-américains et internationaux, l’industrie du ski dans l’ouest du Canada est moins exposée aux risques liés au changement climatique et a la possibilité de gagner des parts de marché dans certaines destinations. Les marchés du ski dans l’est du Canada diffèrent beaucoup en matière de chute de neige, de terrain et de production de neige artificielle, et courent des risques climatiques variés. Le Québec demeure relativement résistant, en voyant sa saison moyenne courante de 137 jours se réduire seulement à 116-121 jours d’ici 2050 (respectivement de -12 à 15% dans un futur à basses ou à fortes émissions). À l’inverse, l’emplacement plus au sud des zones de ski de l’Ontario et l’impact des chutes de neige et de pluie dues à l’effet des Grands Lacs entraînent des pertes de 12 à 21 % par rapport à la saison actuelle de 117 jours.

La retenue collinaire au pied du télésiège Peak Express de Whistler Mountain’ Photo Ruth Hartnup, 2007

L’enneigement artificiel est-il durable?

Depuis son développement en 1952, l’industrie du ski a investi des centaines de milliers de dollars dans la fabrication de neige pour prolonger les saisons de ski et augmenter la résistance aux variations du climat et, maintenant, au changement climatique. Alors que celui-ci s’accélère et que les accumulations naturelles de neige varient davantage dans les régions de montagne, les dirigeants de l’industrie du ski comptent investir davantage dans l’amélioration de l’enneigement artificiel comme une stratégie d’adaptation clé. Une étude de marché mondiale projette ainsi un accroissement d’investissement annuel de 4.6-5.7% dans l’enneigement artificiel cette prochaine décennie.[3] La durabilité de la fabrication de neige est mise en cause par des groupes environnementaux préoccupés par sa haute consommation d’énergie et d’eau. Sa durabilité ayant fait l’objet de très peu de recherches, nous avons entrepris la première évaluation nationale de l’enneigement artificiel. Nous avons estimé que 237 zones de ski au Canada utilisaient à présent 478 000 mégawatts (MWh) d’électricité (et 130 095 tonnes d’émissions associées de CO2) et 43.4 millions de m3 d’eau pour produire annuellement plus de 42 millions m3 de neige. Sans incorporer de croissance dans les terrains et les infrastructures d’enneigement, il est projeté que les exigences nationales en matière d’enneigement augmenteront de55-97% d’ici 2050 (selon un futur d’émissions basses ou élevées), avec un accroissement proportionnel d’eau et d’énergie.Il est important de noter qu’environ 80 à 90 % de l’eau utilisée pour la fabrication de neige retourne dans le même bassin versant au printemps et qu’il s’agit d’une utilisation non consommatrice. Alors que les zones de ski investissent dans des systèmes d’enneigement plus performants, nous estimons que si toutes les zones de ski pouvaient atteindre le niveau d’utilisation de l’eau des zones de ski observées les plus efficaces, l’utilisation totale de l’eau demeurerait identique à aujourd’hui, même en cas d’augmentation significative des besoins en enneigement. La source et l’intensité carbone de l’électricité exercent une influence majeure sur la durabilité de l’enneigement. L’intensité carbone du réseau électrique de l’Alberta implique qu’elle est responsable aujourd’hui pour 96% des émissions de carbones associées à l’enneigement au Canada. Sur un planpositif, ces émissions devraient chuter massivement avec la décarbonisation de ce réseau au cours des vingt prochaines années. Au Québec, avec près de 100% d’hydroélectricité et d’autres sources renouvelables, l’enneigement ne laisse pratiquement pas d’empreinte carbone. Les réseaux faibles en carbone de l’Ontario et la C.-B. limitent de façon similaire les émissions de CO2. En fait, en rendant possibles des millions de visites annuelles au Québec et en Ontario, l’enneigement artificiel aide à réduire les émissions de carbone liées aux déplacements du tourisme de ski. Nous avons estimé que l’empreinte carbone annuelle de l’enneigement du Québec était à peu près identique à celle de seulement soixante-sept skieurs en vol de Montréal à Vancouver pour aller skier à Whistler. L’évolution des émissions et de l’utilisation de l’eau devra être réévaluée de manière dynamique, parallèlement aux objectifs communautaires de développement durable, à mesure que le changement climatique s’accélère et que les objectifs de décarbonisation sont poursuivis.

Favoriser la résilience climatique dans l’industrie canadienne du ski

Comme les marchés mondiaux de tourisme du ski, les destinations canadiennes de ski continueront d’affronter l’accélération du changement climatique et l’enchaînement de ses conséquences à travers leurs écosystèmes alpins et leurs communautés de montagne, souvent fragiles. La bonne nouvelle est que, dans toutes les zones de ski, les scénarios d’émissions réduites où le monde atteindrait les objectifs de l’Accord de Paris présenteraient un avenir significativement meilleur pour l’industrie et les destinations de ski canadiennes. À l’instant même où nos montagnes préfigurent le changement, elles inspirent les skieurs du Canada, son industrie du plein air et ses destinations de montagne à accélérer l’action climatique et à s’engager davantage dans l’activisme et la défense du climat.


Références

1. Canadian Ski Council. (2019). Facts + Stats. http://www.skicanada.org/wp-content/uploads/2020/02/Facts-andStats-2018-19-final.pdf

2. Ibid.

3. Persistence Market Research. (2018). Snowmaking system market. Global market study on snowmaking systems: developments in theme based tourism activities to drive growth across various regional markets, July. https://www.persistencemarketresearch.com/market-research/snow-making-system-market.asp

Ressources supplémentaires

Scott, D., Steiger, R., Knowles, N., & Fang, Y. (2019). Regional ski tourism risk to climate change: An inter-comparison of Eastern Canada and US Northeast markets. Journal of Sustainable Tourism, 28(4), 568–586. https://doi.org/10.1080/09669582.2019.1684932

Knowles, N., Scott, D., & Steiger, R. (2023). Sustainability of snowmaking as climate change (mal)adaptation: an assessment of water, energy, and emissions in Canada’s ski industry. Current Issues in Tourism, 27(10), 1613–1630. https://doi.org/10.1080/13683500.2023.2214358

Knowles NLB, Scott D, Steiger R. Climate Change and the Future of Ski Tourism in Canada’s Western Mountains. Tourism and Hospitality. 2024; 5(1):187-202. https://doi.org/10.3390/tourhosp5010013

Knowles, N., Scott, D. (2024) Advancing ski tourism transformations to climate change: A multi-stakeholder participatory approach in diverse Canadian destinations. Annals of Tourism Research Empirical Insights, 5(2), https://doi.org/10.1016/j.annale.2024.10013

 
Guest User